Massage à la tronçonneuse

Article : Massage à la tronçonneuse
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18 janvier 2019

Massage à la tronçonneuse

« Masser : pétrir différentes parties du corps ».

Il y a quelques années, une dame pétrit les différentes parties de mon corps, avec l’application d’un boulanger qui prépare son pain.

Je fus massé au SPA de l’hôtel Hilton-Nordica de Reykjavik. Cadeau d’anniversaire d’Olivier et Thorunn.

En arrivant, un peignoir et une serviette me furent remis. Je devais prendre une douche et me savonner avant d’être relaxé. N’ayant aucune expérience significative des us et coutumes du massage islandais, ni d’ailleurs du massage en général, je me douchai avec mon maillot de bain. Si bien qu’en arrivant dans la petite pièce où se trouvait la table de torture, dissimulée sous l’apparence d’un lit confortable avec draps et couverture, j’étais encore fortement humide. Un détail.

J’avais souhaité être manipulé par une femme.

Moins pour l’expectative de massages Houellebecquiens (« Plateforme » – Ed. J’ai Lu), que pour la supériorité supposée de la femme sur l’homme en matière de douceur et de sensualité. Je souhaitais pouvoir imaginer que cette séance pendant laquelle une femme allait faire voyager ses mains sur mon corps serait le prélude à une expédition tout autant érotique que virtuelle. Je désirais que le plaisir d’être relaxé s’accompagne de l’idée vaine d’être autrement soulagé. En gros, je voulais pouvoir m’abandonner totalement, les yeux fermés, mais l’imagination grande ouverte, aux mains prétendument expertes de cette dame.

Après 30 longues minutes, au cours desquelles je découvris que mes mollets, mes reins, ma nuque, mes bras, et même mes oreilles, pouvaient être beaucoup plus sensibles que je ne l’imaginais, je m’abandonnai finalement à l’idée que le massage pût aussi s’avérer contractant. Ce qui ne correspondait pas exactement à l’idée que je m’en étais faite dans un premier temps.

« You are contracted », me dit d’ailleurs la dame, perspicace.

Pendant le premier quart d’heure, je fus donc partagé entre la tentation d’arrêter la séance et l’envie de réclamer un peu d’indulgence auprès de cette femme, sadique par ignorance.

Je ne fis ni l’un, ni l’autre.

Et ce fût avec la détermination du patient qui supporte l’extraction d’une dent rageuse, que je tus les douleurs provoquées par la dame. Après l’effort, le réconfort, m’étais-je dit confiant.

Au bout d’un quart d’heure, m’étant retourné sur le dos et me voyant les yeux ouverts, la dame entreprit de me parler. Il ne lui suffisait plus de s’acharner sur le potentiel riche et varié des zones sensibles de mon corps, il lui fallait maintenant triturer mes neurones en me harcelant de questions dont l’intérêt ne généra pas l’euphorie.

Les « Are you french ? », « From how long have you been in Iceland ? » et autres « Do you like this country ? », se succédèrent donc au rythme de mes réponses, dont la précision n’eurent d’égale que leur concision.

« Yes », « Eight », « Yes ».

Pressentant que sa capacité à renouveler les sujets abordés était inversement proportionnelle à ses talents de tortionnaire, je décidai d’opter pour la stratégie des « yeux fermés ».

Vraiment chouette la stratégie des « yeux fermés ».

En temps normal, elle se révèle d’une redoutable efficacité.

Une personne dotée d’un minimum de prévenance, voire plus prosaïquement d’un cerveau, comprend qu’un individu ayant les yeux clos est soit en train de dormir, soit mort, ce qui n’était pas encore totalement mon cas, mais que dans les deux hypothèses, il était vain de s’adresser à lui.

Je crus pendant les rares secondes de silence qui me furent offertes que ma tactique avait été la bonne. C’était sans compter sur le pouvoir de nuisance de mon bourreau, qui cherchait sans doute matière à tortures inédites. Elle finit par trouver. La créativité ne s’exprime jamais mieux que lorsqu’il s’agit d’occire son prochain. Abandonnant le mode interrogatif, dont elle avait pu mesurer le peu d’influence sur mon débit oral, elle décida de me parler d’elle et de sa vie. Bien que je n’eusse plus à répondre, je tardai à m’enthousiasmer pour cette sollicitude narrative qui impliquait au moins de ma part l’apparence d’une écoute polie, que j’honorai par quelques onomatopées placées aux moments opportuns : « Ha ? », « Mmm mmm », « Hooo ! », etc.

Outre le fond sonore aquatique prétendument relaxant et les triturations obstinées de la dame, il me fallait maintenant subir les révélations niaiseuses de l’existence insipide de mon bourreau.

J’eus sans doute pu me taire complètement, mais peut-être avais-je pensé l’amadouer en lui faisant croire que sa conversation m’enchantait.

J’avoue avoir intégralement oublié son monologue, dont je ne pourrais malheureusement pas faire état ici. Mais je me souviens m’être efforcé de l’associer mentalement au son de l’eau qui sortait des hauts parleurs, afin de m’éviter une souffrance de plus. Je souhaitai noyer ces mots oiseux dans le flux aqueux d’une sorte de mélopée.

Je parvins enfin à me détendre à la 29e minute, épuisé par autant de sollicitations en si peu de temps. La dame m’abandonna à la trentième très précisément. Le sang aussi c’est de l’argent. Je demeurai seul dans la pénombre de la pièce de 5 ou 6 mètres carrés, fier d’avoir survécu, satisfait d’avoir défié mon corps avec succès et d’avoir mis ma volonté à rude épreuve. J’imaginai que ces massages auraient en définitive un impact positif.

En quittant la petite salle, décidé à découvrir tous les instruments de torture du SPA Hilton-Nordica de Reykjavik, je me dirigeai vers les pots d’eau chaude afin de tester leur pouvoir d’affliction spécifique. Pour être honnête, je voulais en réalité m’y cacher pour profiter enfin d’un ultime moment de décontraction. Et en effet, pendant quelques instants je pus savourer le vrai bonheur de me retrouver dans une sorte d’immense baignoire ronde qui diffusait une eau très chaude.

« Now, would you like I take care of your shoulders ? It is included ».

Les yeux brusquement grands ouverts, je me trouvais dans la situation du gars victime d’un violent psychopathe tout droit sorti d’un film d’horreur et qui a fini par retrouver sa proie alors que celle-ci pensait lui avoir échappé. La dame aux mains de fer et à la parole d’argent m’avait débusqué. Avant même de pouvoir formuler des réticences, elle avait commencé à s’accrocher à ma nuque. C’était fou une telle obstination. Au moins s’était-elle tue pendant ses courts instants.

Dehors, enfin libéré, je repensai à cette expression qui tend à exonérer les personnes à l’origine d’attentions ratées : c’est l’intention qui compte.

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